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PEUT-ON SE PASSER DÉFINITIVEMENT DE SEMELLES ORTHOPÉDIQUES ?

Christophe Otte
Orthokinésiste
Physiothérapeute, podologue, ostéopathe, posturologue
PEUT-ON SE PASSER DÉFINITIVEMENT DE SEMELLES ORTHOPÉDIQUES ?
Le souhait de chaque patient est de se passer définitivement de ses semelles orthopédiques. Quelles sont les facteurs à tenir compte pour y arriver ?
 
La réponse à cette question va dépendre de plusieurs facteurs.

Le premier facteur est le type de semelles orthopédiques portées. Il existe deux types de confection dans les semelles orthopédiques : passives et actives.
 
 
La semelle orthopédique passive est une semelle qui a la fonction de limiter le mouvement du pied dans une position esthétique avec l’objectif de mettre au repos les muscles du pied. Elle est proposée dans un délai de 6-8 semaines maximum, le temps de consolidation des tissus lésés (tendons, muscles, ligaments...). Elle réagit comme une minerve (semelle souple) ou comme un plâtre (semelle rigide).
 
La semelle orthopédique active est une semelle conçue dans un matériau dynamique qui se déforme, freine et restitue l’énergie emmagasinée. Elle a la fonction de dynamiser le pied dans des amplitudes physiologiques (en 3D). Elle mobilise les articulations et les muscles dans les amplitudes défectueuses du pied. Elle a aussi la fonction d’agir sur la posture en dynamique et en statique puisque les étages supérieurs aux pieds (cheville, genou, hanche...) subissent les mouvements du pied tel un “guide” lorsque le corps est dynamique (marche, course). En charge, tout le poids du corps repose sur le pied. Si ce dernier est dans une mauvaise amplitude, il entraine automatiquement les autres étages supérieurs. Ces derniers n’auront donc pas le choix de trouver des stratagèmes de compensations pour éviter que le corps perde son équilibre.
Si un patient porte excessivement une semelle orthopédique passive, au-delà de 8 semaines, son pied subit les séquelles de l’immobilisation prolongée et la rééducation lui sera de plus en difficile à récupérer. À titre de comparaison, lorsqu’on enlève trop tardivement un plâtre d’un coude (suite à une fracture osseuse), ce dernier est tellement raide et fibrosé que la kinésithérapie s’avère insuffisante. Seule, la chirurgie de redressement permettra un meilleur esthétisme,  mais  le  coude  ne  sera   plus   jamais   fonctionnel. Pour cette raison, il est primordial de réduire le port de semelles passives, par prudence, à 6 semaines. Dès que l’inflammation est passée, il faut enlever la semelle passive. S’il y a toutefois une déficience du pied, il faut enchaîner la rééducation avec des semelles actives (dynamiques et stimulantes).
 
 
 
Le second facteur est le type de chaussures portées au quotidien. Sans le savoir, de nombreuses personnes portent régulièrement des chaussures qui ont le même effet que les semelles orthopédiques passives : sandales en liège, chaussures avec talon (drop positif)”.
 

Ces personnes ont des séquelles de l’immobilisation et sentent le besoin d’un meilleur support. Deux solutions s’ouvrent à elles : une rééducation avec une semelle orthopédique active ou un abandon rééducatif “confort” en effectuant des semelles orthopédiques passives sur mesure.
Il est bien connu que les séquelles de l’immobilisation peuvent être très difficiles à récupérer, voire même impossibles, dans les longues fixations. Dans ce cas de figure, le patient doit faire un choix de confort pour ses pieds mêmes si les étages supérieurs en payent le prix avec le temps par compensation.
 
La plupart des marques de chaussures proposent des « soutiens » du pied pour compenser le surmenage musculaire qu’elle peut occasionner. Quelle que soit la chaussure portée, elle est automatiquement plus large que le pied. Elle augmente naturellement les bras de levier des muscles lors de la marche. Il faut savoir qu’une chaussure « relax » favorise un travail des muscles du pied d’une charge équivalente à 3 fois le poids du corps, contre une fois en marchant pieds nus.
 
Plus la chaussure est large et épaisse, plus les bras de levier sont importants. Il s’en suit un travail musculaire qui s’amplifie proportionnellement  au-delà  de  3  fois  le   poids   du   corps. Pour cette raison, il est déconseillé à une personne qui a porté durant plusieurs années des chaussures « passives », des chaussures avec un petit talon (drop positif) et un soutien plantaire, de basculer brutalement à des chaussures neutres, plates et sans renfort. Il faut leur proposer une rééducation progressive pour éviter une asphyxie musculaire. Ce serait comparable d’effectuer un marathon sans jamais s’être entrainé auparavant.
 


Le 3e facteur à tenir compte est le poids de la chaussure. Une chaussure lourde augmente le travail et la difficulté des muscles. Il va de soi que la densité du matériau est un élément essentiel à prendre un compte. Une chaussure de sécurité qui contient de l’acier incorporé dans la semelle demande des muscles très très performants. Si la charge dépasse la capacité des muscles, ces derniers s’asphyxient et se détériorent. Une chaussure 2 fois plus lourde risque de doubler le surtravail musculaire à développer. Il est donc essentiel d’en tenir compte pour faciliter la rééducation d’un pied.
 
 
 
Le 4e facteur est le degré de déformation du pied. Un pied plat (langage médical : éversion/pronation anormale, arche interne affaissée) est un ressort épuisé. La musculature du pied travaille pour creuser la voûte plantaire afin qu’elle fonctionne comme un ressort ou un piston lors de la marche et de la course. Grâce à un mécanisme complexe au niveau articulaire, les muscles peuvent assurer au pied d’absorber les chocs (le ressort s’écrase) et de propulser de manière économique (le ressort se creuse).
 
Un pied normal développe un travail musculaire d’une fois le poids du corps pour assurer ce jeu dynamique de ressort. Le travail musculaire est proportionnel à la déformation du pied. Un pied plat de stade 3 (le plus courant) doit développer 3 fois le poids du corps à la marche.
 
L’aggravation de la déformation d’un pied est proportionnelle à la distension de ses ligaments. Les ligaments sont des élastiques qui maintiennent les os entre eux. Des ligaments distendus sont des élastiques trop étirés, qui n’ont plus la fonction dynamique nécessaire pour maintenir un écart physiologique entre les os. À ce stade, les muscles sont les seuls capables d’éviter l’écart extrême entre les os. Ils doivent prendre la charge de travail des ligaments pour assurer les capacités normales d’un pied en mouvement. Lors d’efforts importants, ils peuvent être sursollicités et céder par excès de fatigue.  C’est comme ça que les ligaments vont continuer à se détendre et que les articulations vont se déformer de plus en plus. On rentre dans un cercle vicieux. Plus la déformation s’aggrave, plus les muscles doivent travailler.
Il y a cependant une limite au travail musculaire selon le temps d’entrainement et de charge que l’on peut proposer aux muscles. Dans un pied plat de stade 3 de déformation, il faudrait effectuer un entraînement musculaire de 3h par jour pour que les muscles soient suffisamment forts à compenser la déformation articulaire. C’est dire que peu de personnes peuvent se permettre d’arriver à un tel effort. Il est d’autant plus vicieux qu’en quelques semaines de repos, on retourne à la case « départ ».
 
Il est donc impératif d’effectuer un bilan postural OPS pour détecter un début de déformation afin de le contrecarrer au plus vite. Une fois installée, la déformation peut devenir difficile, voire impossible à rattraper.
 
Chez l’enfant, il y a plus de facilité de rattraper une déformation parce que le corps évolue avec la croissance. C’est pour cela, il faut faire le maximum pour stimuler les pieds des enfants entre 1 et 8 ans.
 

 
Figures de Kirby (2009) : le bras de levier du muscle tibial postérieur est 3 fois plus petit dans un pied plat éversé de stade 3 par rapport à un pied normal. Le muscle Tibial postérieur doit donc travailler 3 fois plus pour compenser la déformation articulaire.
 
 
 
Les deux derniers facteurs pouvant être une entrave au bon fonctionnement d’un pied sont la vitesse de déplacement (marche ou course) et le poids de la personne.
La marche impose une contrainte aux pieds de 0.8 à 1 fois le poids du corps. La course à pied occasionne une contrainte aux pieds qui est en moyenne de 3 à 5 fois le poids du corps selon la vitesse. Il faut savoir qu’en marchant, il y a 2 pieds en contact au sol, alors que la course est un déséquilibre alterné sur un seul pied. C’est pour cette raison que l’impact au sol est plus violent en augmentant la vitesse de course.
Par cet effet de contrainte de la vitesse sur le pied, il est assez facile de comprendre qu’un excès de poids se répercute proportionnellement dans l’effort musculaire.
 
Pour éviter le surmenage des muscles des pieds et des pathologies, il faut impérativement agir sur les  différents  facteurs  réunis. Le  bilan orthokinésique OPS permet de quantifier les déformations du pied, les déficiences musculaires et les mauvais critères de chaussures afin de proposer  un  traitement  adapté  et  personnalisé  à  chaque  patient.
 

 
Le port de semelles orthopédiques « actives » peut être proposé selon le degré d’atteinte du pied. Plus ils seront faibles et pris à temps, plus il y aura d’espoir de se séparer d’une paire de semelles orthopédiques actives. Un bilan Postural OPS permettra de quantifier l’évolution du pied avec le temps.
 
Le port de semelles orthopédiques « passives » est préférentiellement proposé dans les stades aigus inflammatoires sur un maximum de 2 mois. Si toutefois, un patient a porté des semelles ou des chaussures « passives » au-delà de ce temps, tout dépendra des séquelles d’immobilisation prolongée subies. En fonction du degré de déficiences, il peut être proposé de basculer vers une semelle active ou activo-passive (une semelle active moins dynamique). C’est l’avantage que procure la semelle orthopédique active Kinépod (brevetée). Elle est modulable par l’ajout d’élément et de sangles afin de modifier ses propriétés par stimulation ou inhibition.


 
 
 
 
 
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